Le barrage Bertrand, un pari fou

Quelques visionnaires vont se sentir missionnés pour réparer cette injustice, bâtir ce qu’ils définissaient eux-même comme une oeuvre sociale.

Ce sont surtout des agriculteurs, des vignerons et des éleveurs, au sein desquels figurent un certain nombre d’élus. Parmi eux, Louis Bloch, propriétaire agriculteur au château de cambous à Viols-en-Laval, une demeure qui avait été, jusqu’en 1910, la propriété de la marquise de Turenne, princesse de Wagram. Homme moderne attaché à sa région, il n’envisage pas de la laisser sans électricité.

Il en discute avec un ingénieur, Marcel Broulhiet, diplômé des Arts et Manufactures à Montpellier qui, dès avant la première Guerre, imaginait que le relief du vallon de Saint-Martin-de-Londres et le cours de l’Hérault permettaient d’envisager la construction d’une centrale électrique qui desservirait les agriculteurs environnants.

Entreprenant, Louis Bloch partit à la rencontre de ses collègues agriculteurs et, le 3 novembre 1920, suite à une convocation publiée dans les journaux d’annonces L’éclair et le petit Méridional, une assemblée qui réunit les représentants de 1306 sociétaires, porta sur les fonts baptismaux la « coopérative Agricole d’Electricité de Saint-Martin-de-Londres et extension »…

Le 22 octobre, le conseil d’administration de la coopérative nomme, sur la proposition de son président, Marcel Brouilhet « directeur technique des travaux d’installation des usines et des réseaux » de la Coopérative et demande à son président d’acquérir auprès de la famille Souche un terrain et un immeuble sis sur la commune d’Argelliers,

au lieu dit  » le Moulin de Figuières », afin d’y construire un barrage.

Des débuts difficiles

A partir de 1922, le président est secondé par un directeur général, Jacques Lauriol. Entre-temps, le barrage qui était prévu pour une hauteur de 6-7 mètres doit passer, à partir de 1919, en raison de nouvelles dispositions légales, à 12 mètres de haut. Cette modification du projet a amené la Coopérative à retenir le lieu-dit  » Moulin de Bertand » en lieu et place du « Moulin de Figuières ». Le réseau, quant à lui, devait s’étendre sur une distance initiale d’environ 200 kilomètres.

Mais comment financer ces investissements ? Cette entreprise a un coût : 1,3 million de francs de l’époque, plus de 500 000 pour financer les réseaux. Un quota est fixé, dans un esprit coopératif : la région comportant environ 10 000 habitants, on décide d’une contribution de 200 francs par tête ! Somme considérable pour les agriculteurs de l’époque, mais chacun y va de sa poche : deux millions de francs sont réunis ( environ 1,8 million d’euros de 2010). Le capital est intégralement souscrit.

« Voilà où nous en sommes, écrit le conseil d’administration avec enthousiasme, au seuil de l’an 1923 et qui verra, sauf accident imprévu, la lumière de l’Usine Bertrand resplendir. J’ajoute que d’autres communes sont venues s’ajouter à notre coopérative : Popian, Saint-Bauzille-de-la-Sylve, Cazilhac…Vous voyez que nous faisons tâche d’huile ».

Les premières études montrent néanmoins très vite que ces capitaux seront insuffisants et le Conseil d’administration décide de demander à chacune des communes un effort supplémentaire. Les travaux peuvent enfin commencer mais les soucis financiers continueront à préoccuper le Conseil d’administration jusqu’à l’inauguration du barrage hydraulique et bien au delà…

L’entreprise s’est alors tournée vers la Caisse Régionale du Crédit Agricole du Midi, qui venait d’être créée, et qui lui a consenti un prêt de 500 000 francs à la condition d’un engagement solidaire des membres du Conseil d’administration de la Coopérative. Par ailleurs, le sénateur Pelisse, Maire de Paulhan et le député de l’Hérault Barthe, obtiennent du Ministère de l’Agriculture une « subvention gratuite » de 400 000 francs, plus un prêt de 900 000 francs supplémentaires sans autre condition que d’en faire profiter le plus d’agriculteurs possible, en compensation du surcoût de l’agrandissement du barrage imposé par le législateur.

Bientôt, le Ministre de l’Agriculture, le très populaire Henry Chéron surnommé le « Gambetta de normandie », vient poser la première pierre à Saint-Martin-de-Londres le 10 avril 1922. Après quelques péripéties, l’usine hydro-électrique du Moulin de Bertrand à Saint Martin de Londres qui fonctionne déjà depuis l’année précédente, est officiellement inaugurée le 27 octobre 1924 par le nouveau Ministre de l’Agriculture du gouvernement Herriot, Henry Queuille.

Cette usine fraîchement inaugurée était construite pour produire 7 à 8 millions de kWh par an, la consommation des communes étant alors de l’ordre du million de kWh par an, l’activité de l’usine se trouva donc immédiatement excédentaire et cet excédent était revendu à la société de distribution Sud-Electrique. Mais ce bénéfice n’était possible que lorsque l’hydraulicité de l’Hérault était satisfaisante. Or, ce fleuve a toujours été capricieux et a parfois connu d’importantes périodes de sécheresse. Les premières années d’exploitation furent ainsi, à l’image du fleuve Hérault, quelque peu « chaotique »… mais pas suffisamment pour empêcher la poursuite de l’électrification des communes qui avaient décidé de rejoindre la Coopérative. Ainsi le 9 juin 1925 le Conseil d’administration constatait avec satisfaction que « 47 communes sont dotées de l’énergie électrique ce qui en ces jours de 1920 paraissait si incertain ».